Très brève histoire de la carrière et des fours à chaux de Cartravers.
Cartravers a eu un passé industriel tout à fait remarquable lié à un site géologique unique dans les Côtes d’ Armor. On y a exploité dès le
17e siècle
un gisement de calcaire daté de l’ère primaire.
Au Carbonifère, il y a environ 350 millions d’années, époque où les terres émergées n’avaient ni l’aspect ni la localisation que nous leur connaissons
maintenant, un fjord occupait la partie centrale de la Bretagne actuelle. Cette vallée encaissée, de profondeur inégale, aux eaux chaudes tropicales,
s’étalait de Brest à la Mayenne. Au niveau de Cartravers le couloir marin se rétrécissait et avait une faible profondeur, des sédiments calcaires
s’y déposèrent, formant une lentille allongée qui, au cours des divers mouvements tectoniques dans les ères suivantes, se cassa et subit des
transformations.
La partie restée à Cartravers évolua vers une forme cristallisée pour donner le calcaire de Cartravers, une roche de couleur grise
ou bleu foncé avec des filets blancs de calcite dans laquelle on trouve parfois des empreintes de fossiles marins.
Les « perrières » ou carrières, connues des habitants du hameau sans doute bien avant,- ils se servaient des pierres pour construire maisons, granges,
étables et pour empierrer les chemins souvent bourbeux des alentours- furent systématiquement exploitées à partir du milieu du 17e siècle.
Au 17e et 18e, la pierre de Cartravers alimenta le four à chaux de Lorge. De plus, la pierre de Cartravers, débitée en petite section, était très
recherchée par les fonderies et aciéries de la région. Elle était ajoutée comme fondant ou castine au minerai de fer.
Dès le milieu du 17e siècle la castine de Cartravers était utilisée dans les hauts fourneaux des Forges des Salles de Rohan, du Vaublanc, de Lanouée
et aux 19e et 20e aux Forges du Pas et celles de Sambre et Meuse.
Les premiers fours à chaux exploités de façon industrielle à Cartravers le furent à partir de 1804 par un noble quintinais, M. De La Villéon-Kerforne,
qui avait racheté le four artisanal datant de la fin du 18e et appartenant au paysan, Joseph Mafar, qui exploitait les terres sur lesquelles se trouvaient
les carrières. Il en fit construire un deuxième.
Cartravers fournit alors en pierres et en chaux les chantiers de Napoléonville, aujourd’hui Pontivy et ceux de la construction du canal de Nantes à Brest.
A partir de 1818, 2 entreprises, l’une dépendant de
M. de Choiseul à Quintin, l’autre de
M. de Janzé aux Forges des Salles, parfois rivales, parfois
associées, fonctionnèrent dans le hameau. Il y eut jusqu’à 4 fours à chaux.
Après une période de crise de 1837 à 1860 où si les carrières étaient toujours exploitées, les fours furent souvent non utilisés, le site de Cartravers
connut un nouvel essor à partir de
1860 sous l’impulsion de
M. Victor Méheu qui s’installa sur les possessions de M. de Janzé.
De nouveaux marchés s’ouvraient pour la chaux : les Comices agricoles incitaient à l’utiliser pour amender les terres agricoles. Le site de Cartravers
était unique dans la région et sa chaux supérieure à celle qui arrivait de la vallée de la Loire ou de Normandie.
D’ailleurs une entreprise concurrente s’installa à Cartravers sur les propriétés de
M. Allenou . Elle fut dirigée par
M. Sureau qui fit élever,
en
1878, au bord de la route, les 2 fours jumelés qui subsistent aujourd’hui.
Dès 1884, toutes les installations de Cartravers passèrent sous le contrôle de M. Méheu dont les descendants créèrent en
1913 la Société des Fours à chaux
de Cartravers et gérèrent le site industriel jusqu’en 1958.
Ensuite l’exploitation fut reprise par divers gérants, en particulier, de
1964 à 1974 par un industriel venu du Nord,
M. Vandame qui modernisa
l’entreprise, puis, en
1974, par une société industrielle basée à Pontrieux, la
SECMA, filiale de la TIMAC.
En 1978, le site de Cartravers a fermé définitivement.
A cela, différentes raisons : coûts d'exploitation trop élevés, investissements trop lourds et pas assez rentables pour agrandir l'exploitation,
concurrence de chaux moins chères, utilisation d'autres amendements agricoles, disparition d'importants clients, comme les Forges du Pas.
Cette entreprise a fourni du travail à des générations d’ouvriers venant de différents hameaux de La Harmoye et de Saint Martin des Prés. Leur nombre a varié
suivant les époques. Beaucoup étaient employés de façon saisonnière, certains exploitaient en même temps de petites fermes, d’autres étaient journaliers
agricoles.
En 1810, selon R. Durand, M. de La Villéon Kerforne employait 12 à 15 carriers et de très nombreux charretiers et manœuvres pour le transport des pierres,
des « bourrées »,( combustible pour les fours : ajoncs, houx, écorces, fagots) et pour la livraison de la chaux.
En 1877 , un rapport fait état de 200 personnes employées pour l’extraction, la cuisson et le transport de la pierre et de la chaux.
En 1945, 25 carriers y étaient employés.
En 1978, l’entreprise modernisée n’avait plus que 9 employés directs auxquels s’ajoutaient de nombreux transporteurs et les ouvriers des entreprises
effectuant l’extraction des pierres et l’éclatement des gros blocs.
Ce site industriel a profondément marqué la vie du hameau de Cartravers et des alentours.
Françoise Lambert-Langlais.
Pour plus de précisions, consulter l’Association des Amis des fours à chaux de Cartravers.
